Le Trésor de Brion

Crédit photo : Centre d'archives régional des Îles
Crédit photo : Centre d’archives régional des Îles

« Cette île est la meilleure terre que nous ayons vue, car un arpent d’icelle vaut mieux que toute la terre neuve. Nous la trouvâmes pleine de beaux arbres, prairies, champs de blé sauvage et de pois en fleurs aussi épais et aussi beaux que je vis onques en Bretagne, que semblaient y avoir été semés par laboureux… Il y a force groseilliers, fraisiers, roses de provins, persil et autres bonnes herbes de grande odeur. Il y a autour des Iles, plusieurs grandes bêtes comme grands bœufs, qui ont deux dents en la gueule comme dents d’éléphants et qui vont à la mer. Nous y vîmes pareillement des ours et des renards. Cette île fût nommée Ile Brion. » – Journal de Jacques Cartier, 1534

 

L’Île Brion est située à 16 kilomètres de Grosse-Île. Elle mesure 6,5 km2 de superficie pour 7,5 km de longueur, son relief est vallonné et son littoral irrégulier est bordé de falaises. Pendant plusieurs millénaires, elle fut une base saisonnière fréquentée par des groupes amérindiens, principalement de la nation mi’kmaq, qui y trouvaient poissons, mollusques, morses, phoques et oiseaux en abondance. Jacques Cartier la visita en 1534 et lui donna son nom en l’honneur de son principal bailleur de fonds, Philippe Chabot, amiral de France et seigneur de Brion. Nous lui devons la première description écrite de l’île et de l’archipel.

 

Brion ne connut ses premières habitations permanentes qu’en 1851. La famille Dingwell était alors propriétaire de la majorité de l’île, louant des terres aux autres habitants. Les Dingwell exploitaient un magasin général et une conserverie de homards. Ils finançaient aussi des expéditions de chasse aux phoques. William Dingwell, surnommé le Vieux Will, était considéré comme un Séraphin Poudrier local, quoique d’un tempérament beaucoup plus agréable que l’avare de Sainte-Adèle. S’il était avare de son argent, c’était aussi un érudit qui n’était pas avare de ses connaissances. Des rumeurs disent que le Vieux Will, littéralement à la tête d’un empire du homard, cachait son argent dans des conserves. À sa mort, en 1907, on tenta de trouver son trésor, mais en vain. Néanmoins, être riche comme le Vieux Will est resté une expression employée par les Madelinots. La mort du Vieux Will marqua aussi un exode de la majorité de population de Brion vers les autres îles de l’archipel. L’occupation permanente de l’île prit fin en 1940, mais on continua d’y pêcher et de s’y abriter lorsque nécessaire jusqu’en 1970. Depuis 1988, l’île est classée réserve naturelle et la majorité de son territoire n’est plus accessible.

 

Je suis allé deux fois à Brion. Une fois avec les guides d’Excursion en Mer et une fois en bateau avec famille et amis. Je me rappelle du petit quai de fortune, de la cabane d’interprétation de l’île, du sentier qui traverse le boisé jusqu’aux ruines de la maison du gardien de phare, du phare toujours debout et de la plage magnifique, appelée la Belle de Brion par Jacques Cartier en l’honneur de la fille du seigneur de Brion, dont il était amoureux. Les pique-niques près de la cabane d’interprétation et les baignades sous le regard curieux des loups-marins figurent parmi mes plus beaux souvenirs. J’avoue qu’y camper avec des amis la fin de semaine des Perséides, loin de tout, est un rêve que j’ai.

 

Depuis déjà un certain temps, l’Île Brion est au cœur d’une polémique. Les chasseurs de loups-marins souhaitent avoir accès au troupeau de phoques gris qui vit sur l’île. En effet, il y a des années qu’il n’y a plus de banquise autour de l’archipel. Outre le fait que ça accélère le processus d’érosion des caps de grès, ça rend la chasse au phoque du Groenland extrêmement difficile, le troupeau délaissant les Îles de la Madeleine pour se concentrer au large de Terre-Neuve. Certains se demandent si l’augmentation du troupeau de phoques gris, estimé à 10 000 individus, n’inciterait pas le phoque de Groenland à modifier ses habitudes migratoires, les deux espèces ne se mélangeant pas. Cette augmentation du troupeau est de plus en plus problématique pour les pêcheurs de l’archipel. En dehors des zones occupées par le phoque gris, les stocks de morue ont remonté. Ici, malgré un pêche responsable soucieuse de la préservation des stocks, ces derniers diminuent pour presque toutes les espèces.

 

Avoir accès au troupeau de phoques gris pourrait relancer l’industrie de la chasse aux loups-marins aux Îles. En effet, le phoque gris vit à l’année sur l’archipel contrairement au phoque du Groenland qui n’est de passage qu’au mois de mars. La chasse au phoque gris rendrait cette dernière plus stable et moins dangereuse. Nos chasseurs n’auraient plus à se rendre jusqu’à Terre-Neuve pour approvisionner la boucherie Côte à Côte. Surtout qu’actuellement, il y a des ouvertures pour l’implantation d’une usine de transformation.

 

Mais pour cela, il faut avoir accès à l’Île Brion, ce qui est compliqué par son statut de réserve naturelle. Je crois qu’il est important de préserver l’Île Brion. C’est la seule île de l’archipel qui réunit tous les écosystèmes, sauf celui des lagunes. Elle abrite aussi une faune aviaire riche et diversifiée, certaines espèces ne nichant qu’à Brion. Cependant, je comprends ceux et celles qui, dans les années 1980, bien que favorables à la création d’une aire protégée, ressentirent une certaine dépossession lorsque le gouvernement décréta l’expropriation de l’île. Par exemple, il nous est désormais impossible de visiter les ruines de Manoir Dingwell, lieu chargé d’une aura mystérieuse et historique non négligeable.

 

Une pétition circule, afin de réclamer la modification des limites de la réserve écologique de l’Île Brion pour y permettre la chasse au phoque gris. Il s’agit d’une initiative de l’Office de gestion du phoque de l’Atlantique. Pour être plus précis, il est question d’exclure la plage de la réserve écologique. Le but de cette pétition est de démontrer que les chasseurs ont la population des Îles derrière eux. La chasse au loup-marin, au Îles, fait partie intégrante de notre identité. Et puis, si on se fie aux scientifiques, le troupeau de l’île Brion, pour ne pas devenir un problème pour son écosystème, devrait compter environs 3000 bêtes. Il en compte actuellement 10 000.

 

La pétition réclame aussi la restauration des infrastructures de l’île, en décrépitude. Plusieurs aimeraient que l’Île Brion soit entretenue comme l’Île Bonaventure. Avec des infrastructures d’accueil et des sentiers décents, Brion pourrait avoir un apport intéressant sur le plan touristique. Il y a aussi une volonté de rendre aux Madelinots une partie de leur patrimoine.

 

Qu’en pensez-vous ?

6 réflexions sur “Le Trésor de Brion

  1. Bonjour,

    Est-ce possible de savoir quelle est la source pour la présence de Micmacs sur l’Île Brion? À ma connaissance aucun site préhistorique ni artéfact n’a été trouvé. Est-ce une source écrite?

    Merci de m’éclairer!

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    1. Dans son livre « Découverte et Peuplement des Îles de la Madeleine », Pauline Carbonneau rapporte que Léonard Clarke, qui a profité de sa retraite pour faire des recherches en histoire, mentionne la découverte d’objets amérindiens à l’Île Brion dans les années 1960.

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      1. Moira McCaffrey, l’archéologue qui a fait des recherches exhaustives sur les Îles, et qui est considérée comme la plus grande spécialiste de la préhistoire des Îles, mentionne plutôt ceci dans son rapport:

        « À l’origine, il n’était pas prévu d’étudier l’île Brion, le taux élevé d’érosion sur le rivage rendant improbable la découverte de sites préhistoriques. Cependant, les saisons de travail de sondage ayant révélé plus de sites sur l’archipel que prévu, il fut décidé d’inclure l’île Brion dans ce projet. L’inspection s’est étendue de Calf Cove, tout autour de l’extrémité est de l’Île, incluant l’Anse à la Baleine, l’Anse du Sud et l’Anse Spring. Malgré le grand nombre de puits creusés, aucune preuve d’occupation préhistorique n’a été déterrée. Dans la partie ouest de l’Île, la région de l’Arbre-à-Spring, d’Anthony’s Nose et de La Grosse Head fut testée. Là encore, aucun site préhistorique n’a été découvert. L’érosion peut être un des facteurs expliquant la destruction de tout indice d’occupation préhistorique sur l’île Brion. Il est également possible que les peuples autochtones aient choisi de visiter l’Île, mais de ne pas s’y installer, privilégiant des secteurs offrant de plus grandes variétés de ressources. »

        Les propos de Léonard Clarke ne sont pas appuyés par des découvertes concrètes. Étant donné l’absence totale de preuves et l’avis contraire Moira McCaffrey, il serait beaucoup plus prudent de dire qu’on ne sait pas s’il y a eu une occupation préhistorique de l’Île Brion. Du moins jusqu’à ce que des preuves soient découvertes.

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  2. Il ne devrait même pas y avoir de polémique. L’île est une réserve naturelle protégée. Point à la ligne. Le Québec tire la patte dans la protection de son territoire et aires naturelles. Le bon québécois trouve toujours une excuse pour se soustraire à la protection intégrale, quand ce n’est pas une raison d’ordre économique c’est moral. Y a pas de coutumes plus importante aux îles de la madeleine qu’il y en a à l’île aux Coudres (jadis chasseurs de béluga) qu’à Charlevoix (chasseurs de caribous des bois) ou partout ailleurs ou on avait l’habitude de pêchers l’omble de fontaine pour nourrir sa famille.

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    1. @sijemens Les bélugas de l’île aux coudres ou les caribous de Charlevoix ne menace ou plutôt menacait pas l’écosystème comme le troupeau de phoques est en train de le faire aux iles brion. La surpopulation de phoque gris à un impact significatif sur les stocks de poisson dans le golfe, on ne parle plus de coutume ici…
      Bien d’accord avec la protection de l’espèce mais je suis surtout d’accord avec la survie d’un archipel peuplé de Madelinots qui croivent à un avenir décent chez eux. Il est surement possible de faire cohabiter la chasse, la pêche et la protection d’un territoire unique comme les Iles brion!

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      1. Les phoques ne menacent nullement l’écosystème !!!! Tout peut très bien aller a son rythme sans intervention aucune de l’homme. – Nous avons deux points ici. Le premier concerne l’intégrité de l’Ile Brion en tant que territoire protégé. Il y en a peu au Québec, nous sommes parmi les cancres en la matière an Canada et dans tout l’Occident. Déjà, des milliers de claims minier ou pétrolier ou des contrats d’approvisionnement en bois nous empêchent de protéger le territoire comme il faudrait – alors si en plus en commence à rogner ceux déjà protégés, ou si on modifie leur statut pour satisfaire une poignée d’individus…!!! L’ile Brion est un joyau naturel et il serait possible d’en tirer bénéfices autrement que par son exploitation de la faune.(ou flore)… il existe une multitude d’exemple de par le monde, au Costa Rica, aux iles Seychelles, à L’ile Maurice, aux Galapagos etc. Un peu d’imagination et de la bonne volonté svp.

        L’autre point concerne la relation entre le troupeau de phoques de l »ile Brion et la population de morues aux iles. Donnez moi une référence, une seule, sérieuse, qui nous indiquerait que la population de morues pêchable dans l’aechipel irait en augmentant si on faisait un prélèvement du phoque à l’Ile Brion… car on parle bien d’un prélèvement et non de l’extermination du phoque sur cette ile. Une seule étude le démontant avec des arguments crédibles. – Déjà on nous annonce que les populations de morues augmentent dans le Golfe (dans certains secteurs) , pourtant la population de phoques elle ne diminue pas! Acceptons donc le fait que les populations de morues ont été décimées par l’homme et l’homme seul, que c’est la surpêche la cause première … et peut-être la seule (les avis sont partagés).

        La coutume! … oui les coutumes changent, aux iles comme ailleurs. Si par malheur on ouvrait l’ile a la chasse aux phoques… pendant combien de temps cela serait-il viable (comme chasse sans exterminer tout le troupeau) comme ressource! Combien d’argent cela rapporterait-il et pour combien de personnes? Une encoche dans l’Ile protégée Brion serait une première qui ouvrirait la porte à bien d’autres ailleurs. Et déjà que les iles elle-mêmes perdent d’années en années leur caractère unique en matière de paysage (bâti des buttes, clôtures) et intégrité des berges.

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