L’exîles

exil

« En pays d’exil, même le printemps manque de charme »

 

La première fois que je l’ai réalisé, c’était au beau milieu de la nuit. Je me suis réveillée en sursaut. Affolée, je cherchais le sable dans mon lit. Y avait rien. J’étais dans de beaux draps, au sens propre comme au figuré.

Dès le lendemain matin, ce sentiment d’errer entre l’ici et l’ailleurs ne m’a plus quitté. Je me suis mise à remarquer toutes ces choses qui ne m’avaient pas suivi lors de mon départ. Un jour, j’ai paniqué en constatant le pas de nœuds dans mes cheveux. J’te jure, l’absence de vent laissait ma tignasse lisse, j’avais jamais vu ça.  Mes joues fondaient à vue d’œil aussi. La faute au sevrage intense de bouilli, de sucre à la crème, de tarte au sucre, de Decker Boy? Je ne me reconnaissais plus vraiment. J’essayais de le dire à quelqu’un, mais j’avais peur qu’on ne me comprenne pas. Par prudence, je me suis mise à raffiner mes A, à cesser d’envoyer des godêches dans le vide, à reformuler mes expressions colorées. Le vent, l’apparence, l’accent, tout s’estompait peu à peu.

Une fois, en quête de mes racines, j’ai même goûté ma peau afin d’y retrouver un léger goût de sel. J’ai pleuré quand j’ai constaté que ça goûtait pas grand-chose finalement.

Avide, j’explorais la ville de fond en comble afin d’y trouver le petit café où les gens y feraient des palabres. Puis je me lassais, sachant pertinemment qu’ils savaient même pas c’était quoi, une palabre. Je cherchais les Îles dans tout et à chaque instant. Pathétique, vous direz, j’en étais au point où je faisais chaque allée d’épicerie en espérant silencieusement qu’on me demande à qui j’étais la fille.

Bien sûr, ça n’est jamais arrivé. Et c’est dans ce manque des plus absolus que j’ai compris qu’on ne quitte jamais vraiment les Îles. Bien sûr, il nous arrive de rêver du départ, de la liberté, de changements et, pourquoi pas, d’un peu d’anonymat. Et pour un moment, c’est vrai que ça fait du bien. Sauf que.

Sauf que ce lieu mystique nous rattrape. On se retrouve au milieu d’une rue bondée à souhaiter entendre la mer. On jubile quand c’est un peu venteux et on vire littéralement fous quand on croise un de nos confrères expatriés.

Puis, sur un coup de tête, ou pas du tout dira-t-on, on vide notre compte en banque pour un billet d’avion. Ou on part en quête effrénée de notre sauveur, celui qui nous ramènera en nos terres. Tu nous trouves peut-être fous, mais ne te méprends pas, étranger. Nous, grands déportés, savons mieux que personne que le plus merveilleux, c’est le bonheur d’y retourner enfin.

Dieu merci, chaque Madelinot le sait trop bien, l’exil ne dure jamais bien longtemps.

 

Joanie Poirier

 

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