
Crédit : Éric Sévigny
La trame (à écouter en lisant) :
« Situé en plein cœur du golfe du Saint-Laurent, l’archipel des Îles de la Madeleine… » La formule est commune, éculée presque. Je ne vois pas un guide touristique qui ne la contiendrait pas. Mais sa banalité n’est pas ce que je lui reproche le plus. Cette phrase est trompeuse. Les Îles, c’est bien plus loin que ça en a l’air. Sur un archipel, l’isolement se nomme « insularité ».
Les Îles, c’est tellement loin. En y déménageant, il faut accepter que nos amitiés se vivent dorénavant à distance et que nos relations familiales soient moins soutenues. Il faut accepter que nous assistions par procuration ou par compte-rendu à des évènements importants dans la vie de nos proches. Je vois grandir mon filleul et ma filleule sur vidéo une heure plus tard dans les maritimes. Une heure de vidéo ne remplacera jamais un câlin d’une seconde.
J’ai laissé beaucoup d’amis en arrière, dans mon ancienne vie. Évidemment, je me suis recréé un réseau, peut-être même plus présent que mon ancien. Mais ce réseau ne m’a pas vu grandir et ne connait pas mes erreurs de jeunesse (quoique dans ce cas, ça peut être un avantage). J’éprouve toujours un peu de nostalgie en prenant des nouvelles d’eux, en voyant leurs photos sur les réseaux sociaux des lieux que je fréquentais. Ce genre de contact n’est pas satisfaisant. Quand je prends des nouvelles sur Facebook, tout est un peu en retard, tout est déjà passé, comme lorsqu’on regarde les étoiles.
Je suis arrivé relativement seul ici. Les noms des chemins me rappellent que je suis loin des miens, de ma famille et de mes amis. Aucun ne porte mon nom. Ayant grandi en ville, je me suis retrouvé dans un environnement que je ne connais pas. Les bruits, les images et les odeurs m’intriguent et ne me rappellent rien. Peut-être pour me rassurer, je recherche ces sons et ces odeurs caractéristiques. Ces sons, scènes et senteurs chargés de souvenirs : le bruit du trafic des rues commerciales, la rumeur de la ville la nuit lorsque je m’endors, l’odeur du quartier de mes amis, les effluves de certaines lignes d’autobus, les sons étouffés des voisins d’appartement. Je me concentre sur certains éléments du paysage m’évoquant une sensation de déjà-vu. Naturellement, peu se comparent aux atmosphères urbaines que j’ai fréquentées jusqu’à tout récemment. Un moment m’évoque des souvenirs et me permet de me sentir, pour un bref moment, moins loin de mes amis d’enfance et de ma parenté : à travers la brume mystérieuse des Îles la nuit, entre Havre-aux-Maisons et Fatima, la vue au loin des traversiers et du Cap-aux-Meules m’évoque la ville, celle de mon enfance.
La saison touristique reprend bientôt; les bateaux se videront de touristes venant de la ville; des amis passeront, profitant d’un hébergement abordable; et l’ivresse de l’été me fera sûrement oublier pour un temps mon insularité. Mais en attendant, je m’endors dans le silence le plus complet, ce silence si cher aux Madelinots, mais un peu troublant pour les citadins comme moi. Je m’endors loin de mes proches, ma cuisse ressentant la vibration fantôme d’une notification Facebook sur mon cellulaire.
La trame :
Excellent texte Éric!
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Merci beaucoup.
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