
2 h 22. Je suis là, les deux yeux grands ouverts. Ce serait presque poétique si ce n’était pas de la bourrasque qui arrive et me prend à la gorge, me coupe le souffle jusqu’au bleu, au bleu infini de la mer dans ma poitrine, sur mon visage, à l’intérieur de mes paupières.
Je suis parti de la ville avec le vent dans le dos. J’ai eu quelques frissons à l’arrivée, comme lorsqu’on met les pieds dans la mer JAMAIS ASSEZ CHAUDE pour se baigner. Puis je me suis habitué à la fraîcheur de l’eau et au vent qui décoiffe. Je me suis amariné doucement, me suis laissé porter « par les vagues ». À la question : « quand est-ce que tu repars? », j’ai osé répondre : je ne sais pas.
J’ai passé un été formidable, rassurant même, où je me suis dit, (presque) tous les jours, que j’étais chanceux, que je faisais enfin ce que j’aime, écrire, dans un environnement qui me ressemble et m’appartient. J’ai réussi à ne pas me poser trop de questions et à suivre le courant, la plupart du temps.
Mais voilà, maintenant, l’automne me cogne dessus comme la pluie sur les toits. Octobre commence, et je suis là, devant ce grand espace vide, cette grande page blanche qu’est ma nouvelle vie aux Îles. Je retrouve la famille, les amis perdus de vue, de nouveaux amis. Tout semble en place, mais il y a cette voix en dedans, cette terreur qui naît. Je ne sais pas ce qui s’en vient. Comme le disait si bien Miron, je suis arrivé à ce qui commence. Tout est à faire. Tout est à commencer. Il y a des milliers de projets que je veux entamer, et tout plein de craintes qui les accompagnent : et si je me trompais de voie? Et si j’avais tort? Et si ma vie était ailleurs?
On se convainc si facilement, que c’est, au fond, parce qu’on veut voir plus clair qu’on se réveille en plein milieu de la nuit, avec le cœur qui bat à nous défaire la poitrine… On se convainc que c’est pour le mieux qu’on reste figé là dans l’angoisse, la peur, le doute. Bouche bée devant la grandeur, devant cet immense flou de ce que c’est vraiment, finalement, la vie. La terreur de ne pas être à la bonne place, la terreur de ne pas avoir pris le bon chemin, l’impression de stagnation qui s’installe soudain, alors que ça fait à peine trois mois que je suis ici. La magie de l’arrivée s’estompe, et je me trouve devant une myriade de questions. Qu’est-ce que je dois faire? Qu’est-ce que je veux faire? Comment je vais vivre? J’ai peur que ce que j’ai à offrir ne soit pas suffisant, que je n’en fasse pas assez. Peur d’être condamné aux culs-de-sac, aux détours, aux chemins qui ne mènent nulle part. Peur de me montrer vulnérable, ou faible. Peur de prouver que mes reins ne sont pas assez solides pour le vrai monde, ce monde des adultes qui peu à peu s’immisce dans ma bulle : les factures, les contrats, le budget, les responsabilités…
Mais il y a une réponse à tout ça, et tellement évidente.
Comment je vais vivre?
Je vais vivre.
Je vais inspirer… et expirer. Puis recommencer, faire un pas devant l’autre, me lever chaque matin avec de nouveaux projets, de nouvelles envies, de nouveaux moyens d’y arriver.
Je vais me lever le matin et écrire, parce que c’est ce que je suis venu faire ici. Écrire.
Et vivre, le mieux possible. Le plus possible, vivre.
Nathaël Molaison
La trame :
Une réflexion sur “Parce que, revenir.”