Deux dindes la nuit

Titre : Chat machiavélique prêt à tuer Crédit : Karyne Blanchette
Titre : Chat machiavélique prêt à tuer
Crédit : Karyne « ils sont trop beaux, mes chats » Blanchette

Éric Sévigny

Correspondant des Trames à l’étranger

 

MONTRÉAL – En quittant les Îles pour Montréal à la session d’automne, j’étais un peu anxieux. Pas que la grand’ville me faisait peur. Mais, comme je partais seul, loin des miens, et que j’allais passer l’essentiel de mon temps devant l’écran d’un ordinateur, j’aurais apprécié une présence réconfortante à mes côtés.

À mon arrivée dans ma nouvelle maison, ma sympathique coloc m’accueille comme il se doit et me fait visiter. Le quartier est tranquille et la maison, chaleureuse. Lors de la seconde nuit, ma coloc s’absente et je me retrouve seul à la maison. Enfin, je vais faire du ménage dans mes affaires avant d’affronter ma classe pour la première fois en début de semaine. Ne trouvant pas le sommeil – ça m’arrive lorsque je dors dans un nouvel endroit –, je sens une présence malveillante dans la maison, comme un déplacement furtif. Je veux en avoir le cœur net. Je me lève, un peu étourdi et en boxeur, et tente de découvrir l’origine de ces bruits étranges. À l’ouverture de ma porte de chambre, la présence fuit. Au moins, je sais qu’elle a aussi peur de moi que moi, d’elle. J’aurais aimé être dans ma maison verte aux Îles, avec ses bruits rassurants.

Après une tournée sommaire de la maison, je ne trouve rien et j’ai froid. Je retourne me coucher, la porte fermée. Je garderai un œil dessus toute la nuit.

Au réveil, j’entends des frottements sur le cadre de ma porte. La présence? Avec la lumière du jour, les bruits me semblent moins menaçants que la veille. J’ouvre. Deux chats en manque de nourriture m’implorent de les nourrir.

Je n’aime pas les chats. Je les ai toujours soupçonnés de comploter dans mon dos avec leurs petits yeux vicieux. Je me méfie de leurs griffes rétractiles prêtes à tuer. Un chat ne vous donne pas d’attention; il vous l’exige.

Je passe plusieurs jours par semaine à travailler à l’ordinateur. Par la porte de mon bureau, je vois les chats curieux tourner autour de mes affaires. Ils ont une certaine fixation entremêlée de peur pour mes magnifiques pantoufles de dinde, un bijou de style que je porte en toutes occasions, même pour des entrevues à distance. Ils passent entre mes jambes et observent mes allers et venues. En somme, on s’étudie et on s’apprivoise.

Après une semaine ou deux, les chats sont habitués à ma présence. Ils me suivent lorsque je monte au bureau pour travailler. Ils me donnent presque de l’affection. J’en suis un peu troublé, d’ailleurs. Je peux m’en approcher assez pour remarquer qu’ils ont des pouces. Malade! On est à deux doigts de pouvoir faire des combats de pouces. Sur le futon derrière ma chaise de travail, il n’est pas rare qu’un d’eux se couche, roulé en petit beigne de fourrure, et me tient compagnie. Nous vivons presque qu’une bromance. Ou, devrais-je dire, une catmance.


Je me suis toujours dit que le mot « putsch » n’était pas de l’allemand, mais un mot inventé par un chat qui avait enfin réussi à se débarrasser de son maitre. J’en ai maintenant la preuve.


Un soir frais d’automne, ma coloc est partie pour un voyage en Europe. Elle ne rentrera que dans une semaine, J’en profite pour regarder un film, activité à laquelle je ne m’étais pas adonné depuis des lustres. Vent de folie, je bois même une Pabst – quelle horreur! Et on ose appeler ça une bière. Un des chats, Léo, le moins proche de moi habituellement, passe la soirée sur le divan à mes côtés. Un rare moment de complicité.

En fin de soirée, prêt à aller me coucher, je me désincruste du divan, chausse mes élégantes pantoufles de dinde et me dirige vers le patio pour y déposer ma canette de bière. Le chat me suit. Alors que j’ouvre la porte et sors, le chat tente une feinte et s’élance dehors. Habile, je referme la porte avant qu’il ne puisse se faufiler. Je ne voulais pas qu’il passe la nuit dehors. Il faisait si froid. Je dépose la canette dans la boîte et regarde la rue déserte. Avec un petit frisson, je me retourne vers la porte et tente de l’ouvrir. Elle ne semble pas bouger. « C’est impossible, elle ne se barre que de l’intérieur. », me dis-je, comme pour me rassurer. « Elle doit être dure à ouvrir, c’est tout. » Je tire plus fort, mais rien ne bouge. Je secoue frénétiquement la porte, mais elle semble retenue par quelque chose.

En regardant par la fenêtre, je vois un chat qui me regarde, l’air malin. Il se lèche la patte, victorieux. On dirait qu’il me sourit même. Sa patte pointe vers une barre transversale qui bloque l’ouverture de la porte-fenêtre. La deuxième barrure était tombée lorsque j’avais refermé la porte brusquement. Tombée? Je ne l’entends pas, mais je vois que Léo-le-nono ronronne. Je me suis toujours dit que le mot « putsch » n’était pas de l’allemand, mais un mot inventé par un chat qui avait enfin réussi à se débarrasser de son maitre. J’en ai maintenant la preuve.

Je tâte mes poches : vides. Il doit être 23 h 30, je suis en pantoufles de dinde et je me les gèle. J’ai l’air d’un champion. Je dois agir vite. Sinon, ma coloc va me retrouver congelé au fond de sa cour lors de son retour. Mes dindes, en me réchauffant les pieds, me donnent un avantage tactique non négligeable. Cependant, elle mine ma crédibilité en cas d’une approche désespérée d’un voisin. Disons que c’est ma dernière option.

Dindes aux pieds, je fais le tour de la maison à la recherche d’une porte ou d’une fenêtre débarrée. Je maudis le fait que, contrairement aux Îles, les citadins paranoïaques barrent toutes leurs portes. Je ne connais pas mes voisins. Je ne peux marcher chez mes amis de la Belle Anse pour demander refuge. Je ne peux même pas prendre le métro, mon portefeuille étant évidemment embarré.

Après probablement 2 minutes qui en ont eu l’air de 2000, j’essaie une dernière fenêtre – c’est toujours la dernière. Eurêka, elle s’ouvre. J’observe les alentours pour être sûr que personne ne voit mes prouesses et n’appelle la police et, tel un ninja aux pieds larges comme des pattes d’éléphant, je parviens à me glisser à l’intérieur.

L’air déçu, Léo-le-traitre-nono se retourne la queue haute et le postérieur bien en vue et s’en retourne dans ses appartements. Quelques jours plus tard, il recommencera à se montrer aimable. Mais je ne suis pas dupe. Je sais qu’il fait cela pour m’amadouer. Pour faire tomber ma garde.

 

Écoute la trame parce que : Parce qu’avec mes pantoufles aux pieds, je me sentais pas mal comme James Bond en tentant malhabilement de rentrer par la fenêtre sans être vu par mes voisins. Quand tu auras trop bu et que tu échapperas tes clés dans une grille d’égout en rentrant d’un bar, si ta porte de maison est barrée, cette toune-là va te donner du courage.

 

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