
À Havre-aux-Maisons vivait un petit bonhomme pas comme les autres. Émile aimait classer ses figurines, réciter seul des dialogues du film Madagascar et se cacher dans des cabanes improvisées de couvertures et de coussins.
Émile était plutôt solitaire. Il avait bien quelques amis. En fait, c’était une véritable star, malgré lui. Mais le contact de ses amis l’épuisait. Ils parlaient beaucoup trop vite, trop fort. Tout ce brouhaha résonnait dans sa tête et l’empêchait de penser. Avant de devenir fou, Émile se cachait dans un petit coin pour faire le vide dans sa tête.
Au début, ses amis pensaient qu’Émile voulait jouer à la cachette ou faire un fort. Ils prenaient des figurines de superhéros et des armes de plastique et tentaient de rentrer dans le fort en criant : « À l’abordage! » Mais Émile repoussait sans explication les envahisseurs qui voulaient percer sa bulle, se mettait en petite boule ou battait des mains comme un petit oiseau. Émile se sentait incompris.
Au fil des ans, Émile devenait de plus en plus agité. Ses amis et sa famille avaient de plus en plus de difficulté à lui parler et à le calmer. On élevait la voix pour lui parler lorsqu’il était en crise. Tout ce bruit était douloureux et le rendait encore plus turbulent. Les crises se multipliaient et ses parents perdaient espoir de le comprendre. Émile construisait des barrières et se terrait en lui. Le restant du monde était un endroit troublant et désorganisé.
Lorsque la première neige tomba, Émile trépignait de joie. Il voulait courir dans la neige avec Gounette, sa fidèle chienne au nom étrange, et en manger en cachette, dès que ses parents auraient le dos tourné. Dehors, Émile était ébloui par tant de blanc. Il se roula dans la neige et en dégusta goulument. Le manteau blanc l’enveloppait et feutrait les bruits. Il se sentait seul au monde. Il était bien. Il était si calme que ses parents pouvaient enfin lui parler un peu. Émile passait des heures à jouer dans la neige, mais il lui manquait quelque chose. Il aurait aimé avoir un ami silencieux avec qui jouer, un ami qui le comprendrait.
Un soir, alors qu’il jouait avec sa figurine d’Olaf, le délirant bonhomme de neige de la Reine des neiges, il eut une idée. Il pourrait avoir lui aussi un ami bonhomme de neige. C’était décidé : le lendemain matin, il construirait son bonhomme de neige.
Au lever du soleil, Émile s’assura que personne n’était réveillé. Toute la maison était encore plongée dans un profond sommeil. Il sortit discrètement de son lit et descendit les marches sur la pointe des pieds, ce qui était sa façon normale de marcher. Il flatta Gounette pour la réveiller et lui expliqua son plan.
Les deux comparses partirent à l’aventure pour trouver la neige la plus blanche des Îles, une neige magique qui donnerait la vie à son bonhomme de neige. Pour la trouver, ils devaient suivre la trace du vent et escalader la Butte à Mounette. À son sommet, ils trouveraient cette neige spéciale. Suivre le vent était facile cette journée; il ventait si fort que les flocons de neige tombaient horizontalement.
Le vent était intensément froid, la tempête faisait rage et l’ascension de la butte s’avéra périlleuse. Les deux amis durent s’entraider pour atteindre le sommet. Mais, sans un mot, ils se comprenaient.
Au sommet, Émile s’installa pour commencer la construction du bonhomme de neige. Mais, une fois le bonhomme complété, rien ne se passa. Émile, médusé, fixa le bonhomme que le vent terrible détruisait peu à peu. Il désespérait. Jamais il ne réussirait à avoir son ami magique. Pendant ce temps, Gounette reniflait et suivait une piste qui la mena au creux d’un petit vallon. Elle creusa et déterra quelques branches et trois cailloux. Émile comprit que, si son bonhomme ne s’animait pas, il devait lui manquer quelque chose en plus de la neige. Il lui manquait des yeux pour voir le monde, un nez pour sentir et des bras pour faire des câlins. Alors, à l’abri du vent dans le petit vallon, il recommença son travail. La construction avança bien et Gounette aidait en creusant des trous un peu partout, fournissant ainsi des petits tas de neige. Émile appliquait la dernière touche : il posait les cheveux du bonhomme de neige pour qu’il ne prenne pas froid aux oreilles. Finalement, le bonhomme était complet.
Émile avait enfin un ami à qui conter ses secrets. Il avait un ami silencieux avec qui il pouvait jouer sans cris. Son ami était toujours disponible pour donner et recevoir des câlins, mais jamais il ne s’imposait ou entrait inopinément dans sa bulle.
Quand sa mère lui demandait ce qu’il voulait faire, Émile lui répondait chaque fois qu’il voulait monter la Butte à Mounette. Sa mère ne se doutait pas qu’il allait voir son nouvel ami secret, puisqu’Émile était un être d’habitudes et qu’il était habituel qu’il fasse toujours les mêmes activités. Par contre, elle remarquait qu’il était moins dissipé et qu’il était plus à l’écoute de ses demandes. Le bonhomme de neige l’apaisait.
Un soir, alors qu’elle allait voir le coucher de soleil sur la cime de la butte, sa mère aperçut le bonhomme de neige. Elle éprouva un attachement et du réconfort à la vue de ce petit tas de neige. Elle redescendit vers la maison, monta à la chambre d’Émile et lui donna un long baiser sur la joue. Elle sentit, pour un instant, qu’elle le comprenait un peu plus.
Des fois, les moments magiques arrivent plus près de chez soi qu’on le croirait. Émile était capable du plus grand comme du plus magique. Ses parents n’en avaient jamais douté.
Écoute la trame parce que : C’est une pièce musicale qui rappelle que la première neige peut être remplie de douceur et de magie. Joyeux Noël!