Si tu veux construire un bateau

La Déportation des Acadiens Henri Beau (1863-1949) (ameriquefrancaise.org), https://commons.wikimedia.org/wiki/File:La_Deportation_des_Acadiens_par_Henri_Beau.jpg
La Déportation des Acadiens
Henri Beau (1863-1949) (ameriquefrancaise.org), https://commons.wikimedia.org/wiki/File:La_Deportation_des_Acadiens_par_Henri_Beau.jpg

Je suis fier d’être Madelinot. C’est l’endroit où je suis né et où j’ai grandi et je l’aime profondément, tout comme la communauté qui l’habite. J’aime ses plages de sable blond, ses caps de grès rouge, ses lagunes fragiles, ses buttes verdoyantes, ses boisés modestes et le sentiment d’immensité qui m’étreint lorsque mon regard scrute l’horizon et se perd là où la mer et le ciel se confondent. J’aime son peuple tricoté serré, un peuple têtu, fier, courageux, généreux, bon vivant et solidaire. Ah ! Il a des défauts, comme tous les peuples du monde, mais pas suffisamment pour altérer mon amour pour lui. Si un jour j’en viens à vivre dans un autre pays, personne ne pourra jamais me faire oublier mon archipel natal, son peuple insulaire et notre relation avec la mer et le vent.

Je suis fier d’être Acadien. Il s’agit de mes racines, de mon héritage. Mes ancêtres acadiens ont choisi les Îles de la Madeleine comme refuge après 37 ans d’errance, de misère et de mésaventures. J’admire leur ténacité, leur débrouillardise et de leur force vive qui leur a permis de survivre au Grand Dérangement. J’espère en avoir un peu hérité. Ma vie durant, j’espère faire vivre leur mémoire, histoire que tout ça ne tombe pas dans l’oubli et que nous ne perdions pas notre point d’ancrage. J’éprouve un sentiment fraternel pour toutes les communautés acadiennes éparpillées de par le monde.

Je suis fier d’être Québécois. Les Îles font partie du Québec, même si nous devons traverser deux autres provinces canadiennes pour nous y rendre. J’aime les régions du Québec, le charme de ses villages et ce quelque chose d’attachant chez leurs habitants. J’admire ce peuple de survivants et de survivantes, semblables aux Acadiens et aux Acadiennes. En fait, plusieurs Québécois sont de descendance acadienne, la Nouvelle-France ayant accueilli bon nombre de réfugiés acadiens ayant échappé à la Déportation. J’ai beaucoup d’admiration pour la nationalisation de l’électricité, le Refus global, la Révolution tranquille, la Nuit de la poésie du 27 mars 1970, la commission Parent et le rapport éponyme qui en est résulté. Ils ont été autant de pas vers la société plus juste, plus égalitaire, plus inclusive, plus écoresponsable et plus respectueuse de la dignité de chaque citoyen et de chaque citoyenne que je souhaite bâtir pour nous et les générations futures.

Je lisais ce matin que Nicolas Sarkozy avait soutenu lundi soir, lors d’une allocution à Franconville dans le Val D’Oise, que « dès qu’on devient Français, nos ancêtres sont Gaulois ». Bref, ce candidat aux primaires, ancien président de la République, prône l’assimilation des immigrants plutôt que leur intégration dans leur terre d’accueil. Ça me fait bouillir le sang dans les veines. Le seul mot assimilation me révolte profondément. Il s’agit d’une forme d’acculturation au cours de laquelle un individu ou un groupe abandonne totalement sa culture d’origine pour adopter celle d’un autre groupe. Rien au monde ne me ferait renier ou oublier ma culture madelinienne, acadienne ou québécoise, car j’appartiens aux trois, et je ne peux concevoir d’obliger une telle chose de la part de qui que ce soit. S’il y a quelque chose que je comprends bien, c’est l’amour que l’on porte à l’endroit d’où l’on vient. C’est une part importante de notre identité dont il est impossible de se départir sans tuer une part de soi-même.

Si par exemple je décidais de m’établir en Italie, il est clair que je développerais de l’amour pour l’Italie et la culture italienne, mais jamais je n’oublierais les Îles, l’Acadie ou le Québec. Jamais je n’oublierais ma langue maternelle et mon histoire, l’histoire de mes ancêtres. Et gare à toute personne qui essaierait de me forcer à le faire. Les Acadiens et les Québécois luttent depuis des siècles contre l’assimilation anglaise. Tellement que je crois bien que l’aversion que j’ai pour l’assimilation des peuples est inscrite dans mes gènes. Non, vraiment, je conçois mal qu’on puisse prôner ce genre de choses en 2016.

Chaque fois que j’entends qu’un ou qu’une jeune des Îles fait le choix de revenir s’établir sur l’archipel, j’en suis sincèrement heureux. Tout comme lorsque je rencontre des gens d’ailleurs qui ont choisi les Îles comme terre d’adoption. Il ne s’agit peut-être pas de Madelinots de naissance, mais je crois que les Madelinots de cœur ont autant leur place dans notre communauté insulaire. Partager mon amour des Îles avec d’autres, qu’ils soient ou non d’origine madelinienne, me met toujours en joie. Tout comme faire découvrir les Îles à des gens qui n’y ont jamais mis les pieds.

Antoine de Saint-Exupéry a écrit dans Citadelle : « Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose… Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer ». Il y a des problèmes avec l’immigration. Cependant, je ne crois pas que faire passer un test de valeurs ou d’obliger des personnes à renier l’expression de leur foi religieuse fassent partie de la solution. Il faut tout simplement faire naître dans le cœur des immigrants et des immigrantes l’amour de leur terre d’accueil, le goût de découvrir sa culture et arrêter de couper dans les programmes sociaux et les services publics qui les aident à s’intégrer. Il faut aussi arrêter de leur donner l’impression que nous ne voulons rien savoir d’eux, d’elles et de leur culture chez nous, car le rejet de but en blanc ne peut que créer du ressentiment. La culture arabe ne se résume pas qu’à des horreurs comme la charia ou le djihad, tout comme la nôtre ne se résume pas aux croisades et aux chasses aux sorcières. Le catholicisme a eu et continue d’avoir ses propres tendances intégristes. Cependant, nous avons des chartes des droits et libertés pour nous protéger des abus et des débordements. Ça inclut l’intégrisme religieux. Ne cédons pas à la peur et ciblons les véritables problèmes.

Mais surtout, restons humains. Les réfugiés syriens qui débarquent dans tous les pays du monde sont des réfugiés de guerre. Ils fuient leur pays parce que c’est impossible d’y vivre. Ils ont tout perdu. Ils ont fui parce qu’ils n’avaient pas le choix pour survivre. Les Acadiens et les Acadiennes ont fait pareil en 1755 alors que les Anglais ont brûlé leurs terres et leurs maisons et les ont déportés aux quatre coins de l’Empire britannique. Ils ont été nombreux à fuir, les deux tiers dit-on. N’eût été l’humanité des Mi’Kmaqs, des Malécites et des Abénaquis, ces agriculteurs n’auraient pas survécu à l’hiver. Les Acadiens doivent beaucoup aux Amérindiens. Ils leur ont appris à chasser. Ils leur ont appris à pêcher. Ils leur ont appris à survivre dans les bois. Ils se sont métissés. Mais, durant ces années où ils se sont côtoyés, se cachant des Anglais dans des communautés mixtes, s’il est vrai que chacun a pu apprendre de l’autre, jamais aucun n’a tenté d’imposer sa culture à l’autre. Je crois sincèrement que cette humanité dont les Amérindiens ont fait preuve en 1755, et sûrement à bien d’autres moments dans notre histoire commune, nous devons nous en inspirer aujourd’hui. Mon cœur saigne en pensant à leurs conditions de vie actuelles et à tout ce qu’ils ont dû endurer. Eux aussi, on a tenté de les assimiler. Souvenez-vous des pensionnats autochtones.

S’il y a un peuple qui devrait comprendre l’exil du peuple syrien, c’est bien le nôtre. C’est peut-être à notre tour de donner au suivant. Et au diable l’assimilation.

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