
Je me retrouve dans un pays à l’autre bout du monde.
Un vieux pays.
De terre, de poussière, de merveilles et de plusieurs mers.
Un pays qui d’hier à aujourd’hui est bousculé par la guerre.
Après un grand dépaysement, je saute dans un bus bondé.
Un trajet de nuit doit me conduire vers le sud.
Mon voisin de banquette me salue timidement.
Les deux jeunes hommes se présentent.
Je rencontre Mazlüm. Il habite ce pays de l’autre bout du monde.
Je ne parle pas la langue de Mazlüm.
Et lui, n’est pas plus outillé en anglais.
Toutefois, un carnet, un crayon et un mini-dictionnaire suffiront.
Suffiront pour des heures de conversations.
Mot par mot, dessiner nos vies pour se raconter d’où nous venons. Où nous allons.
Mazlüm dessine qu’il a 19 ans.
Deux sœurs.
Qu’il vient du nord.
Et part travailler au sud.
Je lui dessine la carte du monde.
Le « Kanada ».
Puis le « Kébek » plus précis, bien défini, un peu plus gros et un archipel en forme d’hameçon.
Je trace un avion qui voyage jusqu’en France.
Puis une route de la Méditerranée jusqu’ici.
Mot par mot, on se raconte.
J’ai l’impression de comprendre quelqu’un et de communiquer comme jamais.
À chaque mot trouvé, nos visages s’illuminent.
Plus tard, le bus grimpe sur un bateau.
Fièrement, Mazlüm me prend le bras et m’amène sur le pont.
La rumeur tranquille de l’eau, sur un tamis de conversations en langues étrangères.
Mazlüm souffle : « Deniz. »
J’entends Denise.
Mon nouvel ami regardant au loin doit penser à une fille.
Je l’imagine.
Lumineuse et timide.
Les cheveux un peu plus pâles que coutume.
Vivant dans une grande maison blanche, au sud.
Denise.
Pour ma part, je pense à une chère tante, une professeure marquante aussi.
Mazlüm intervient : « Deniz !»
Et il pointe les vagues du sillage du bateau.
Je feuillète son calepin.
Deniz signifie mer.
On éclate de rire.
Je n’avais pas tout à fait tort après tout.
Deniz, la mer, était très belle ce soir-là.
Elle apparaissait étrangement pâle, plus qu’à l’habitude.
Bercée par un reflet de lune.
Calme et timide, logée dans l’écume et la nuit toutes blanches.
Et Mazlüm en était assurément amoureux.
Mazlüm est fier de son pays.
De son sourire indétrônable, il chuchote « Yildiz ».
Il n’y a pas de doute cette fois.
Il pointe les milliards d’étoiles dans le ciel.
Il m’indique aussi le grand drapeau rouge sur le bateau. Le drapeau flotte à peine. Mais on peut y deviner le quartier de lune et son étoile solitaire.
Plus tard sur la route, dans mon calepin, je lui dessine un cœur, suivi d’un: « ? ».
Mazlüm hésite.
J’entrevois une courte, mais une vraie tristesse dans ses yeux.
Mazlüm trace simplement une ligne. Une faille.
Qui fait de ma question un cœur cassé.
Pas d’âge pour être brisé par l’amour.
J’essaie de lui dire que « Deniz » sera toujours là.
Mais Mazlüm ne comprend pas.
Ou ne cherche pas à comprendre.
Partager la route, la mer, un peu de tabac et du thé.
Le jour se lève sur nos visages fatigués.
Humains et heureux.
Mazlüm travaille aujourd’hui.
Sur un chantier. Il a 19 ans et il bâtit dans son pays.
Mazlüm
Il est parti sur la route, vers l’ouest, avec ses valises.
Bien loin d’où s’abreuve le doute, de là où les chemins se divisent.
Petit texte en souvenir d’un ami.
Ce à quoi il m’a répondu, traduction faite:
Des routes ont été divisées.
L’amitié n’est pas éteinte. J’ai un ami comme vous, je suis très heureux.
Mazlüm a grandi, maintenant barman…
Un autobus.
Cœurs brisés.
Deux amis.
Tout est beau, mon frère.
Comme vous.
touchant comme un chant tout en amitié au delà des espaces et des frontières…
J’aimeJ’aime