
Le texte qui suit fut inspiré par l’entrevue radiophonique « Se réapproprier le terme région» tenue sur les ondes de Radio-Canada lors de l’émission Boréale 138 du mardi 6 février 2018. Mon but ici n’est pas de répondre directement à cette entrevue mais plutôt de sillonner les sens du mot région et ses implications au dédale de mes propres voyages et déménagements.
L’Île Saint-Jean
Je suis né sur une île. Elle repose sur la rivière des Mille Îles, un peu avant qu’elle ne se jette dans les eaux du fleuve. L’île Saint-Jean : petit bout de chou de la ville de Terrebonne, bercée au sud par l’île Jésus, mieux connue sous le nom de Laval. À l’âge de trois ans, je suis arraché à mon île natale. Les dix années suivantes, je demeure en quelque part aux croisements des quartiers Chomedey, Pont-Viau et Vimont. Laval, banlieue par excellence de Montréal, l’île métropole. La banlieue, tout le monde le sait, c’est l’enfer! Et pourtant, mon enfance est un vrai paradis… Allez savoir! Les années passent, puis je retourne à Terrebonne. Non pas sur mon île, mais dans le vieux. Pas très loin de la rivière, et du vestige de l’époque seigneuriale : l’Île-des-Moulins. En secondaire 3, on se moque de moi parce que je viens de Laval : c’est laid. En secondaire 5, on m’insulte parce que je viens de Terrebonne : c’est la ferme. Et oui, j’étais de retour à Laval, quartier Sainte-Rose cette fois. Ça ne dure que deux ans… et hop! Je retraverse la rivière des Mille Îles pour encore quelques années du côté nord. Avec tous ces allers-retours, j’en viens à me demander : de quelle région suis-je donc le fils? J’ai souvent préféré me dire de Terrebonne que de Laval, pour des raisons qui ont peut-être plus à voir avec la réputation de l’endroit que le nombre d’années ou le sentiment d’appartenance. Mine de rien, notre région d’origine, d’où on vient, ça dépend généralement de à qui on parle. Ce n’est pas à des gens qui n’ont jamais visité le Québec à qui je dirais je viens de Laval, bah… Terrebonne, entre les deux... Je prends le grand raccourci je viens de la région de Montréal (évitant au passage de prononcer le mot banlieue). Être dans la région de, ça semble moins pire que d’être en région. Et puis pourquoi tout le monde veut toujours savoir d’où on vient? C’est compliqué ces affaires-là. Les nomades de ce monde ont vraiment besoin de temps pour vous en parler. Mon origine, c’est personnel.
J’avance donc que le sens du terme région, en plus de signifier à la fois les paradigmes en région (sous entendu éloignée ou loin de) et dans la région de (près de), se divise également entre un usage administratif et un usage culturel. Il y a 17 régions administratives au Québec. La ligne est tracée, pas de doubles sens ici. Alors lorsque le fameux débat éclate à savoir si Québec est une région? La réponse pragmatique est assez équivoque : oui. La ville de Québec c’est la région nommée Capitale-Nationale. Tout comme la ville de Montréal est… la région de Montréal! On voit vite pourquoi la réponse pragmatique ne satisfait pas longtemps. Parce que l’on soit en région ou dans la région de X, on est constamment autour d’un centre Y. Une région qui dépend de. Et si l’usage administratif du mot région n’est pas tant problématique, son usage culturel, quant à lui, est capital et lui confère toutes ses connotations.
Gravelbourg, Saskatchewan
En 2010, j’ai quitté le Québec pour la première fois de ma vie. Une année scolaire complète à Gravelbourg, moi, moniteur de français dans le sud-ouest de la Saskatchewan. Un village de 1000 âmes. Malheur à moi qui nomme Gravelbourg un village! Un village? me rétorque un fermier à la taverne locale, c’est une ville ici… it’s a town! Lui, il vit dans un village de 25 personnes à 15 kilomètres en dehors. En dégradant sa ville, j’ai réorchestré toutes les strates politiques et administratives qu’il conçoit, du ghost town jusqu’au trône de la reine! L’appartenance à une région, comme on le vit au Québec, je n’ai pas vécu ça à Gravelbourg. J’appartenais à un point sans véritable périphérie. Un noyau francophone dont les villages avoisinants sont la chair d’un fruit constamment rongé par l’assimilation.
Par ailleurs, la représentation collective d’un espace géographique ne repose pas a priori sur les mêmes standards administratifs qu’un autre endroit. Ainsi, même si je n’ai jamais été aussi loin d’un centre urbain qu’à Gravelbourg, même si j’étais à 2 heures de route de Régina, je ne me sentais ni dans une région ni en région. Et je mets l’emphase sur le fait de se sentir en région. Car même si une fois par mois j’allais à 100 km plus loin à Moose Jaw, où un supermarché pouvait m’approvisionner tel un grand centre urbain, je n’avais pas l’impression que Gravelbourg dépendait elle-même de Moose Jaw ou de Regina, comme Laval ou Terrebonne peuvent dépendre de Montréal. Je ne pouvais percevoir de quel côté de la frontière était le centre. Car le taux de population et le pouvoir économique ne fait pas foi de tout. Gravelbourg, c’est un foyer culturel francophone très important dans les prairies. Si important, qu’à l’ouest de Saint-Boniface au Manitoba et jusqu’à l’océan Pacifique, Gravelbourg est historiquement le centre de la francophonie. Mais son rayon d’influence culturelle ayant été grandement affaibli, pour des raisons qui ne seront pas traitées ici, elle a finalement perdue son rang de centre culturel. De ce constat, il apparait que ce qui suscite tant de hargne chez les habitant.e.s de Québec face à l’étiquette de région, c’est l’idée implicite que culturellement, elle n’est pas au moins l’équivalente de la métropole montréalaise en terme de dynamisme social.
Larouche, Saguenay-Lac-Saint-Jean
Il y a de ses endroits dans le monde qui profitent d’une aura, d’une sorte de mythe envoutant habité par des légendes qui invitent les touristes et les migrant.e.s à explorer différemment une région. Le Saguenay-Lac-Saint-Jean, pour moi, ce sont des souvenirs d’enfance très riches. Des vacances de Noël idylliques et des étés incomparables, chez mon oncle et ma tante, avec mon cousin et mes cousines. Lorsque mon oncle m’a donc offert un emploi d’été pour l’aider dans ses travaux extérieurs, j’ai tout de suite accepté. Je revenais d’une année d’enseignement avec les francophones de Moncton, où j’ai migré après mon périple en Saskatchewan. J’entrais à l’UQAM à l’automne, et l’idée de découvrir Larouche, un village que je ne connaissais pas encore, m’emballait. J’avais connu Jonquière, Arvida et un brin Chicoutimi. J’avais entendu nombre d’histoires de gué-guerre entre ces villes et je savais que quiconque prétend connaitre la région doit être en mesure de distinguer ce qui est au Lac et ce qui est au Saguenay. La construction identitaire régionale répond bien souvent aux mêmes critères que le nationalisme : ça se fait au détriment des voisins immédiats.
Me voilà donc arrivé à Larouche, non pas dans le village, mais au bout du rang Dorval. À deux kilomètres au nord, c’est la rivière Saguenay. À moins d’une dizaine de kilomètres à l’ouest, c’est l’immense lac Saint-Jean. Je vis sur une frontière, témoin de phénomènes météorologiques sublimes. Des orages qui se dissipent rapidement, soufflés hors de notre portée par l’air chaud du lac. Nous sommes à l’intersection de deux régions fusionnées, souvent prononcé d’un seul trait Saguenay-Lac-Saint-Jean… pas de et, rien. Politiquement et géographiquement, ces régions sont interdépendantes. Leur identité et leur existence ne peuvent se concevoir sans l’autre. Elles ont des caractéristiques bien distinctes et, à leur frontière, se trouvent des portails, des microcosmes qui adoptent parfois les traits de l’un ou de l’autre. Ils sont à la fois la somme, et la différence. Ce sont des régions au sein des régions.
(Gaspésie-)Les-Îles-de-la-Madeleine
De tous les endroits où je souhaiterais proclamer avec enthousiasme que je vis en région, j’ai l’immense plaisir de l’habiter depuis près de deux ans. Elle est la plus exotique au Québec : les Îles-de-la-Madeleine. Je connaissais moi-même très peu cette région avant d’y venir pour la première fois… et de m’y accrocher. Je remarque à quel point les préconçus prévalent souvent sur la connaissance. La conception générale de la distance à parcourir, par la route terrestre, entre Montréal et les Îles est particulièrement amusante à déconstruire. Combien de fois ai-je du expliquer à parents et ami.e.s que non, on ne passe pas par la Gaspésie pour se rendre aux Îles en char. Et comprenez-moi bien, je ne cherche pas à ridiculiser le manque de culture géographique de qui que ce soit. Je désire simplement souligner que ces deux régions sont beaucoup plus éloignées l’une de l’autre que l’on se l’imagine de manière générale. En voiture, il en faut le même temps pour se rendre à Gaspé que pour se rendre à Québec! C’est lorsque l’on fait affaire avec les différents organismes gouvernementaux provinciaux que l’on constate souvent à quel point les Îles sont dépossédées de certains pouvoirs au profit d’une gouvernance qui siège en Gaspésie. C’est à croire qu’aux yeux de nos hauts-fonctionnaires, les Îles seraient une région de la péninsule. Quoi qu’il en soit, elles sont unies, pour le meilleur et pour le pire… bercées par le golfe du Saint-Laurent, porteur de cette alliance.
Au fil de toutes ces années, de tous ces voyages et de ces rencontres, un constat ressort plus que tout autre : plus nous sommes excentrés, plus nous assumons notre régionalité. C’est peut-être lié au fait qu’il est plus facile d’être une partie intégrante de la collectivité d’une petite région par opposition à une grande ville. Je laisse à d’autres le soin de convaincre les Montréalais que, oui, un mode de vie trépidant existe loin des lignes de métro. Il y a tant à dire et à étudier sur ces enjeux. Les questions de l’emploi, du vieillissement de la population, de l’environnement, de l’autonomie régionale, des investissements en culture, et bien d’autres, alimentent les débats et nécessitent l’implication citoyenne. J’ai cherché, à travers ce parcours géopoétique, à ouvrir le débat et je vous invite à me répondre sur le sujet. Mes idées exposées ici ne sont pas figées et sont appelées à évoluer grâce aux réflexions collectives. J’ai surtout voulu pousser plus loin que le discours ville vs région et le chauvinisme qui en découle. Afin d’encourager non pas la fierté ou le sentiment de supériorité, mais bien l’expression culturelle et l’affirmation régionale, je me permets enfin de détourner les mots de Milan Kundera en y substituant le terme nation pour celui de région: «une petite [région], si elle veut avoir dans le monde une signification, elle doit l’engendrer chaque jour, constamment.»
Simon Breault
La trame :
J’ai habité a Magog en Estrie. Magog est une ville et non pas un village comme j’avais fait l’erreur de la désigner. Toutefois on associe pas Magog a la grande région de Sherbrooke. (Je suppose que c’est a cause de sa vocation saisonnière: la montagne en hiver; le lac en été.)
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