Vivre heureux au grand jour

 

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Illustration : José Rodolfo Loaiza Ontiveros

 

Ce jeudi, ce sera le 17 mai, la Journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie. Cette journée a été créée en 2003 par la Fondation Émergence, un organisme québécois dont l’objectif est précisément la lutte à l’homophobie et la transphobie. Pour les gais et les lesbiennes, le 17 mai est une date symbolique importante, car l’homosexualité a été retirée de la liste des maladies mentales de l’Organisme Mondial de la Santé (OMS) le 17 mai 1990. C’est pour commémorer cette victoire que la Fondation Émergence a choisi cette date pour sa Journée internationale.

 

L’homophobie, c’est quoi ? C’est un dégoût, une haine, une crainte ou un rejet de l’homosexualité ou des homosexuels. Comment ça se traduit ? Par des moqueries, des regards dégoûtés, du harcèlement, de l’intimidation, de la violence psychologique ou physique, des viols punitifs ou même des meurtres. Même chose pour les bi, les trans et le large éventail d’orientations sexuelles et d’identités de genre de la diversité. La première chose qui a suivi le premier baiser que j’ai donné à un garçon dans un club de Montréal, c’est « Ark, les fifs, c’est dégueulasse, crissez votre camp d’ici ». Ça, c’est de l’homophobie. Parce que bien sûr, les couples hétérosexuels qui s’embrassaient eux aussi sur la piste de danse ne dérangeaient pas le moins du monde ce gars. Je lui ai parlé en espagnol en faisant celui qui ne comprenait pas et il est parti ailleurs dans le bar en nous fichant la paix. Mais si j’avais embrassé une fille, il ne nous aurait jamais invectivé.

 

On a beau être en 2018, toutes les personnes qui ne rentrent pas dans le moule hétérosexuel et cisgenre peuvent encore vivre à différents degrés de la discrimination à cause de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Oui, même ici, au Québec. Le mouvement de lutte pour les droits des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre a fait plusieurs gains. Il faut s’en féliciter et le célébrer, mais la lutte est loin d’être gagnée. Changer les lois est généralement long et ardu, et changer les mentalités est un travail colossal qui se fait en continu sur le long terme. Et puis, ces gains ne sont jamais acquis.

 

Aux Îles, je trouve qu’on est chanceux. Bien sûr, comme partout ailleurs, nous avons notre lot de bornés et d’intolérants. Aucun groupe social n’a le monopole de la bêtise humaine. Mais de façon générale, notre communauté est ouverte et tolérante. Souvent, on a le réflexe de croire qu’il est plus facile de vivre son homosexualité en ville qu’en région. En ville, on est anonyme. Ici, les gens nous connaissent depuis l’enfance, ou nos parents, ou nos grands-parents. C’est parfois lourd. Ça a des bons côtés de connaître ou d’être connu de tout le village, mais ça a aussi des inconvénients. Les gens ont tendance se mêler de ta vie, même quand tu aurais besoin qu’ils te fichent la paix. Souvent, quand on est ado, ça nous étouffe et on ressent le besoin d’aller ailleurs. Mais ce lien qui nous unit les uns aux autres, je suis convaincu qu’il est notre allié pour faire accepter nos différences. Quand on annonce qu’on est gai, on reste le fils à untel qui a toujours été gentil et serviable, et ça montre que les gais peuvent être de bonnes personnes comme tout le monde. C’est rare que les personnes qui t’apprécient depuis toujours changent subitement d’avis sur toi parce que tu annonces que tu es gai, ce qu’ils supposaient souvent tous pour la plupart. Ça arrive. Malheureusement, parfois, ça arrive. Mais j’ai plus souvent été témoin du contraire.

 

C’est sûr qu’à Montréal, il y a le Village Gai. C’est plus facile de rencontrer au Cabaret Mado que dans une allée de la COOP L’Unité. C’est ce que je trouve le plus dur depuis que je suis revenu vivre aux Îles. C’est une réalité commune à la plupart des régions. Mais je n’ai jamais eu peur pour mon intégrité physique sur l’archipel. Nos bornés et nos intolérants, ils se contentent de se moquer de nous. À Montréal, il y a des secteurs de la ville que je savais qu’il fallait éviter parce que c’était le territoire de groupes néonazis et que les Néonazis, ils aiment bien voler, tabasser et même parfois violer des gais. Ces gens-là prônent la suprématie de la race blanche, et selon ce principe, les autres ethnies, les handicapés et les homosexuels sont des impuretés qui menacent la pureté de la race blanche, et donc l’ennemi à abattre. Ce qui est terrible et qui me fait peur, c’est que ces idéologies d’extrême-droite sont en montée un peu partout dans nos sociétés occidentales.

 

Néanmoins, je fais partie des chanceux qui n’ont jamais vécu directement de l’homophobie durant leur enfance et leur adolescence. J’ai vécu longtemps dans la peur d’en vivre, par contre. Dès la maternelle, je savais que j’étais différent. Je n’aurais pas pu nommer concrètement cette différence, mais je savais que j’aurais aimé sauver ou être sauvé par un prince comme les princesses dans les contes de fée. J’ai réalisé très tôt que j’étais différent des autres et j’ai ressenti que cette différence m’était interdite et que je devais la garder secrète si je voulais être accepté par eux. Ce sentiment qu’il m’était interdit d’être différent, il m’est venu entre autres par l’absence d’autre chose que l’hétérosexualité dans l’espace publique, les dessins-animés, les bandes dessinées, les émissions de TV, etc. Il n’y avait aucun conte où deux princes se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.
Ça m’a même fait me demander si ça existait d’autres garçons comme moi qui voudraient finir avec le prince charmant à la fin du conte, et pas la princesse. Dans un premier temps, cette absence m’a faire croire que non. Puis, le premier contact que j’ai eu avec les mots qui semblaient nommer ma différence, ça a été des insultes. Là, j’ai réalisé que je n’étais probablement pas seul, mais que comme c’était synonyme d’insulte, je n’avais pas intérêt à ce que les autres le sachent. Que je n’avais pas le droit de le dire si je ne voulais pas être rejeté ou qu’on se moque de moi. Ma plus grande hantise durant toute ma scolarité du primaire à la fin du secondaire, c’était qu’on découvre que j’étais gai. Avec le recul, je crois que ça aurait été moins terrible que ce que j’appréhendais.

 

Tant qu’il y aura des caves qui t’invectivent parce que tu embrasses une personne du même sexe que toi dans un bar ou des parents qui mettent leurs enfants à la porte parce qu’ils sont d’une orientation autre qu’hétérosexuelle ou d’une identité de genre différente du genre qu’on leur a assigné à la naissance, la Journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie sera nécessaire. Un jour, j’espère, nous aurons éliminé toute forme de discrimination. D’ici là, faisons tout en notre pouvoir pour sensibiliser et démystifier le plus possible la population aux réalités LGBT.

 

« Enfin on marche
Enfin on court
Et nous vivrons heureux au grand jour
Libres comme l’air
Là sur cette Terre
Parmi ces gens !  » – Parmi ces gens, finale, La Petite Sirène, Disney

 

Voici une fabuleuse trame à écouter avant, pendant ou après votre lecture :

 

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