Vous savez, il y a quelque mois, lorsque j’ai joint la joyeuse bande sur Les Trames, on m’a accueillie à bras ouverts simplement parce que j’écris, que j’ai des idées et la volonté de les formuler pour ce blog (je leur en suis d’ailleurs très reconnaissante).
Mais je me suis dit surtout que j’apportais une perspective bien particulière. Pour l’exprimer, je crois qu’il fallait d’abord que je me « dégêne », puis que je choisisse un bon timing. C’est durant l’été, en écrivant une ébauche d’article pour Les Trames (qui a pris un tournant et est devenu ce que vous avez présentement sous les yeux), que j’ai réalisé que ça fait dix ans que je n’habite plus aux Îles.
Jusque-là, rien de bien folichon, mais le point de vue que j’apporte et qui diffère de mes complices trameurs est le suivant : je suis née aux Îles, j’y ai grandi et quand j’ai atteint le stade (presque) adulte, j’en suis partie avec l’intention de ne plus jamais y habiter.
Comme tant d’autres, je suis partie pour le continent dans le cadre de mes études, à dix-sept ans. J’aurais pu y rester pour le programme d’Arts & Lettres au CÉGEP, mais la vérité, c’est que j’étais pressée de m’en aller. Je sais que beaucoup ont partagé ce sentiment de vouloir aller explorer ailleurs, mais ce n’était pas mon cas; je fuyais.
Et là, ça doit déjà faire un moment que vous vous demandez ce que je fais à écrire ici, le comportement logique étant de mettre cette vie complètement derrière moi et de passer à autre chose.
Voyez-vous, la réalité est que j’ai un rapport amour/haine avec les Îles.
Lorsque j’y suis, je les trouve époustouflantes, magnifiques et elles stimulent mon âme d’enfant et d’artiste comme nulle-part ailleurs. Lorsque je n’y suis pas, une part de moi me manque atrocement et la blessure béante qui en résulte ne guérit jamais vraiment que lorsque je retourne en ce lieu béni.
C’est socialement que j’ai un problème.
Je sais que ceux qui me connaissent un tant soit peu (et qui regardent la vérité en face) comprendront tout de suite.
Soyons clairs : les gens des Îles sont sympathiques, accueillants et généreux. On s’y sent privilégié et en sécurité, la communauté y étant tissée très serrée. Mais il y a aussi tout un envers de la médaille et j’y ai été confrontée plus souvent qu’autrement… L’intimidation.
Petite parenthèse : Bien que je trouve l’effort des écoles et leurs campagnes anti-intimidation très louables et potentiellement utiles, je ne peux m’empêcher de soupirer, pleine de désarroi, à l’idée que c’est un combat sans fin. Cette opinion est probablement dûe au fait qu’à force d’y être confrontée tous les jours, j’en suis venue à la conclusion que c’est le propre de l’humain et que la méchanceté est innée, alors que la gentillesse est une aptitude qui s’apprend et qui doit s’entretenir au prix de grands efforts. C’est une des raisons majeures pour lesquelles je n’ai jamais voulu avoir d’enfant (mais ça c’est au autre sujet).
La partie pragmatique de mon esprit sait très bien que l’intimidation est partout, dans toutes les couches de la société, mais la partie émotive en moi associe malgré tout les Îles à cette souffrance.
Oh, j’ai subi de l’intimidation ailleurs qu’aux Îles, puisque j’ai momentanément fréquenté des écoles sur le continent dans mon enfance. Je sais qu’il y a dû avoir un problème avec moi, mais quand tu n’as personne pour te dire ce qui ne va pas, c’est un peu dur d’être au courant.
La particularité des petits endroits comme les Îles est le bouche-à-oreille. Pour moi, c’était vraiment un désagréable feeling quand quelqu’un que je n’ai jamais vu de ma vie m’appelait par mon nom. Je me demandais alors qu’est-ce que cette personne a entendu dire et quelle opinion toute faite elle avait de moi. Parce que toutes les niaiseries que tu as pu faire étant petit(e), les autres s’en souviennent et retournent ça contre toi. Du moins, ce fut mon cas.
Je confrontais souvent verbalement ceux qui répétaient ces choses compromettantes (vraies ou fausses) à mon sujet, mais aujourd’hui, en tant qu’adulte, je sais que ça ne faisait que m’enfoncer.
Je ne suis pas fière de le dire, mais j’ai intimidé, aussi. Par représailles ou par dépit, je ne sais pas, mais ça ne m’a pas fait me sentir mieux, bien au contraire. Ça m’a seulement laissé un goût amer et coupable dans la bouche.
Je dirais que ce fut vraiment au cours de mon Secondaire 4 que les choses se sont calmées, puisque ceux qui me posaient vraiment problème on soit vieilli et pris en maturité, soit ont décroché dès leurs seize ans. Cette dernière et triste catégorie, reconnue par les psychologues et les travailleurs sociaux (j’ai fait quelques recherches), constitue en général les jeunes qui ont des problèmes tout le long de leur scolarité et qui n’attendent que d’avoir l’âge légal pour lâcher l’école. Sachant (inconsciemment ou non) que s’ils ne font rien, ils ne laisseront aucune trace significative de leur passage à l’école, ils intimident. Et ça marche.
Je ne veux pas que ce texte soit un ramassis de phrases où je m’apitoie sur mon sort. Oui, j’ai souffert, oui, je dois encore travailler sur ma confiance en moi et ma tendance à laisser les autres me marcher sur les pieds par peur de confrontation, mais ça va mieux.
Ça va toujours de mieux en mieux et je travaille sur le pardon.
Alors pardon si je t’ai fait du mal et je te pardonne si tu m’en as fait.
Ça fait dix ans. On est tous des adultes et je pars du principe qu’on a tous changé. Certains l’ont compris et ça me fait de beaux souvenirs qui me font sourire rien que d’y penser.
D’autres, non. Peut-être que parce que eux n’ont pas changé, ils croient alors que les autres ne le peuvent pas non-plus, je ne sais pas. Tant pis pour eux. Peut-être un jour.
Est-ce que je vais revenir habiter aux Îles? Seul l’avenir le dira. En tant qu’écrivaine, ce serait techniquement possible… Peut-être y vivrais-je six mois par année?
J’ai hâte de savoir ce que la vie me réserve et j’aimerais me réconcilier avec mon passé, mais peut-être que le seul moyen d’être heureux est de laisser totalement son passé derrière soi et de se tourner vers le présent, en préparant l’avenir.