
Un jour où je parlais avec une personne que je venais de rencontrer, un commentaire s’est échappé de sa bouche, a glissé pour venir s’étamper au milieu de mon front, me laissant secouée pendant de longues minutes après notre brève conversation:
“Il te manque juste un madelinot pour bien t’ancrer ici aux îles.
– Hahaaaa non, je suis plus icitte pour le pick-up pis le chien.”
Pis là, la personne part vivre sa vie pendant que moi je me fais toute petite à côté de l’éléphant dans la pièce. Je suis dans l’embarras.
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C’est pas la première fois que ça m’arrive, mais c’est une chose à laquelle je n’arrive pas trop à m’habituer. Une bonne partie des personnes avec qui j’ai interagi ici depuis mon arrivée – souvent des hommes, mais quelques femmes également – m’ont fait des remarques semblables, des petites piques, des petites intrusions dans ma vie privée:
“T’es tu fait un p’tit chum ici aux îles?”
“T’es venue ici avec ton amoureux?”
“Ahhh t’es tombée en amour avec un gars de la place!”
Ce à quoi je réponds rapidement pour couper court à de nouvelles allusions: “Nenon, je suis tombée en amour avec LA PLACE.”
Pauvre personne qui voulait juste être un peu drôle, elle sait pas, elle, que je me suis déjà fait faire la remarque 35673598678 fois. Elle sait pas que je me retrouve dans une dualité pas croyable, que j’ai beau être attirée par les hommes, j’haïs leur violence et leur intrusvitié avec passion. Elle sait pas que je suis venue ici pour prendre le contrôle sur ma vie. Pour créer des choses, pour vivre des expériences qui m’appartiennent à moi. Pour me construire, petit à petit, pour moi. Si je suis ici, c’est parce que j’ai pris la décision de venir, pas parce qu’un merman des îles m’a envoutée.
Se permettre ce genre de commentaires, c’est véhiculer l’idée qu’il doit bien y avoir une influence masculine pour laquelle les femmes décident de voyager ou de s’installer en région. C’est supposer que si elles choisissent de s’éloigner de la ville, ce doit bien être à cause d’un gars. C’est surtout pas parce qu’on a genre, des projets, des ambitions qui ne tournent pas nécessairement autour des hommes ou qui ne découlent pas de l’hétéronormativité.
À ça, je dis non.
Tout ça est un sujet vraiment sensible, pour moi. Mon émancipation, je crois, passe entre autres par le fait d’être autonome dans mes décisions et d’avoir un pouvoir sur ma mobilité. J’ai besoin de sentir que j’ai pas besoin d’un prospect romantique pour motiver mes choix de vie. J’ai pas besoin d’un “p’tit chum” pour justifier le fait que j’accomplis des choses. Je prend la responsabilité de ma propre réussite, de mes folies, de mes impulsions, de mes gros moves et de mes petites actions.
Je suis ici pour le pick-up pis le chien, pis pour apprendre à chasser, pis pour vivre les îles l’été, pis pour les vivre l’hiver, pis pour bruncher le dimanche matin pis pour créer des nouvelles traditions, pis pour travailler, pis pour sortir des îles pis pour y revenir, pis pour m’épanouir dans un milieu artistique bouillonnant et effervescent.
Pis oui, peut-être que dans le processus je vais dater, qui sait, sauf que c’est fichtrement loin dans ma liste de priorités.
Une chose est certaine, c’est que je vais continuer à frapper dans le patriarcat à grands coups de pieds, en ville, en région, aux îles, partout.
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Trame: Rebel Girl – Bikini Kill
Une réflexion sur “J’suis icitte pour le pick-up pis le chien”