
Cette semaine, j’ai écouté une capsule d’un édito-slam de l’auteur David Goudreault, un poète que j’admire beaucoup. Il déclarait que désormais, il boycottait l’actualité, qu’elle aurait peut-être du mal à s’en remettre, mais qu’il n’en pouvait plus que ça aille trop mal, tout le temps, partout.
Avez-vous déjà eu envie de vous couper du reste du monde ? Avez-vous déjà voulu abandonner les réseaux sociaux, noyer votre radio, balancer votre télévision par la fenêtre pour vous réfugier dans un cocon doux et vous reconnecter avec vous-même, loin de la violence de cette actualité anxiogène et énergivore qu’on nous sert tous les jours ?
Quand je vois la direction honteuse dans laquelle certains et certaines poussent ce Québec dont j’étais si fier, quand je constate qu’une majorité de Canadiens et de Canadiennes est prête à rendre le pouvoir aux Conservateurs, quand la montée de l’extrême-droite et des populismes de droite me parviennent de partout à travers le monde, je me sens parfois impuissant et j’ai alors envie de fuir sur une île déserte. Tout ça m’attriste, m’indigne et me met en colère, et c’est épuisant et démoralisant d’être constamment attristé, indigné et furieux.
Je vis sur un chapelet d’îles. Elles ne sont pas désertes, mais elles sont tout de même isolées, géographiquement détachées du reste du monde. Ce qui se passe ailleurs au Québec, ailleurs au Canada, ailleurs dans l’immensité du globe, ça reste lointain et il serait si facile de se couper de tout ça en boycottant l’actualité. En plus de vivre sur des îles isolées, détachées du reste du monde, je vis à l’écart, au fond d’un boisé.
Comme ce serait facile d’abandonner le reste du monde, de faire la sourde oreille à tout ce mal qui le ronge, et de me concentrer uniquement mes énergies sur moi, sur ma librairie, sur la coopérative de travail culturel que j’ai créé avec des amis, sur mes projets d’écriture et la carrière d’écrivain dont je rêve depuis toujours. Ce serait facile d’oublier mes privilèges et la souffrance des autres en m’émerveillant devant la vue imprenable qu’on a de l’île du Havre-Aubert sur la butte derrière ma maison, en parcourant les sentiers du P’tit Bois embaumant le sapin et la terre mouillée ou en chantant pour les écureuils et le Lac Solitaire. Comme ce serait facile de faire fi des horreurs lointaines des guerres et des génocides en savourant le bonheur d’une soirée de jeux en famille, d’une soirée de karaoké entre amis ou d’un tête-à-tête avec une personne qui me fait chavirer le cœur. Comme ce serait facile de ne pas avoir conscience des injustices et des discriminations d’ici et d’ailleurs en me gavant de livres, de films, de séries, de pièces de théâtre, de chansons et autres créations artistiques. Facile, vraiment ? En fait, non. Les livres, les films, les séries, les pièces de théâtre, les chansons et autres créations artistiques qui résonnent le plus en moi, ce sont ceux qui portent un message. Souvent, ils dénoncent les injustices et les discriminations, critiquent les inégalités sociales, proposent des solutions et rêvent un avenir meilleur. Comme l’a dit Goethe, l’art est le meilleur moyen de fuir le monde, mais c’est aussi le meilleur moyen de le pénétrer.
Et puis, même si mes Îles sont isolées, détachées du reste du monde, elles font partie du monde et elles sont menacées par le mal qui le ronge. Ça peut prendre plus de temps pour qu’il les atteigne, mais ça ne veut pas dire qu’elles ne sont pas dans sa ligne de mire. Ça arrivera peut-être une heure, un jour, une semaine, un mois, une année ou une décennie plus tard dans les maritimes, mais ça finira par arriver. Comme on dit, vous avez beau ne pas vous occuper de politique, la politique s’occupe de vous tout de même. Ce qui est décidé à Québec et Ottawa a un impact sr nous, mais aussi ce qui est décidé à Washington, Londres, Paris, Madrid, Buenos Aires, Beijing, Sydney, Moscou.
Tout est une question de dosage. Ne pas me laisser ronger par le mal qui ronge le monde. Admettre que je ne peux pas changer le monde, mais que je peux contribuer à le changer morceau par morceau, à l’échelle de ma maison, de mon canton, de mon village, de mon archipel, de ma province, de mon pays. M’engager, m’impliquer, me mobiliser en écrivant un poème, en prenant part à une manifestation, en organisant avec d’autres une action de visibilité sur un enjeu qui me tient à cœur. Ne pas me noyer dans l’engagement, l’implication, la mobilisation. La partager avec d’autres, respecter le poids limite que mes épaules peuvent supporter. S’entre-aider, se réconforter, se consoler les uns les autres si nécessaire. Laisser de la place dans ma vie pour les projets personnels, les moments privilégiés avec la nature, la famille, les amis, les amours, l’art et la culture.
Je suis incapable d’indifférence face au mal qui ronge le monde. Je suis incapable d’indifférence face aux injustices et aux discriminations. Je suis incapable d’indifférence face à la souffrance des autres. Je suis incapable de ne pas m’attrister, de ne pas m’indigner, de ne pas me mettre en colère. Et je sais que je ne suis pas seul.
Je ne boycotterai pas l’actualité, mais de temps en temps, pour mon bien, je vais prendre mes distances et cela est juste et bon.
Trame : Je vous propose la pièce « Prélude » tiré de Pianoscope, le premier album d’Alexandra Streliski, une compositrice et interprète québécoise que j’admire énormément.