J’haïs ça pelleter

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Crédit : Mylaine St-Onge

 

J’ai trouvé une belle chose dans le fait de pelleter presque chaque jour alors que je paye déjà pour faire déneiger ma cour. (Notez qu’aux Îles, surtout dans ma barrière[1], j’ai l’impression qu’il neige tous les jours. Soit il y a de vraies précipitations, soit le vent souffle celles de la veille. Même que parfois y’a du blizzard : des vents à 90km et de la neige !) Ce qui est bien, c’est que ça me rappelle pendant un petit moment que j’ai une maison bien à moi. Parce que si c’était pas le cas, je ferais comme quand je louais un appart en ville, j’appellerais le proprio !

Y’a plusieurs sortes de pelles selon la neige et la situation. La petite en plastique qui se plie pour mettre dans le char au cas où. La pelle en plastique avec un bon manche pour la neige folle. Celle en métal, pour les jours de verglas ou pour quand la neige a durci. Le « scrapper » pour les grosses bordées (comme celui qu’on utilise pour enlever la neige sur une patinoire extérieure). Moi, je les ai toutes parce que je fais souvent face à plusieurs scénarios de pelletage.

Je “pellete”[2] parce que mon char est pogné dans le banc de neige. Je “pellete” pour enlever le banc de neige pour pas que mon char soit pogné dedans. Je “pellete” pour pas que mon balcon soit trop lourd (tsé les assurances). Je “pellete” pour me rendre à ma maison, pour me rendre à ma porte. Je “pellete” pour ouvrir la porte, sortir de ma maison, pour me rendre à mon char. Je “pellete” parce qu’y a neigé, parce qu’y a venté, parce que la charrue est passée. Je “pellete” parce que j’ai une fierté, parce que je suis autonome, parce que je suis capable toute seule. Et en plus, ces temps-ci, je “pellete” des nuages. Je “pellete” de l’espoir à coup de p’tite pelle de plastique ou de gros « scrapper ».

Pis ça, ça m’écoeure plus que de pelleter de la neige (pas souvent, mais des fois). En fait, ça se ressemble. Pelleter des nuages c’est frustrant comme quand je “pellete” pendant un après-midi pour me faire un beau chemin de la maison à l’auto et que le lendemain matin (même pas 12 heures plus tard) comme pour me narguer le vent a fait disparaître ma belle réalisation de la veille. Pareil, quand tu “pelletes” des nuages et que tu te rends compte que tout ce que tu fais, ce que tu espères, ça change rien, pas une trace du travail accompli, rien ! Des fois, en plus, tu t’en rends compte 6 mois plus tard. Tu te réveilles et tu constates que rien n’a changé. T’as pelleté dans le beurre. Ce que t’as dit, ce que t’as fait, ce que tu pensais … on repart à zéro. Les pelletteux le savent, c’est insultant relever une pelle vide.

Je “pellete” de l’espoir, des rêves. Pour des projets qui se réalisent pas, des amours impossibles, des valeurs qui prennent le bord, une société qui s’en fout, un gouvernement qui m’écoutera pas.

Là, j’arrête. Je prends ma pelle, je la lance dans ma valise de char pis je sors mes raquettes… j’arrête de pelleter. J’avance.

[1]« Aujourd’hui on nomme barrière, l’espace compris entre le bord du chemin public et l’entrée privée d’une demeure ; qu’il y ait ou non une barrière physique, cette limite s’appellera barrière. » Dictionnaire des régionalismes des Îles de la Madeleine, Chantal Naud, Québec Amérique, 2011.
[2] L’orthographe du mot est plutôt pellette, mais mon cerveau s’y accroche chaque fois et lis « Pe-lette », ce qui me dérange. J’ai donc choisi de l’écrire avec une faute et de le mettre entre guillemet.

La trame :

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