
J’étais à l’extérieur des Îles quand j’ai appris la nouvelle. Ce matin-là, Saint-Hyacinthe avait troqué sa délicieuse odeur de chocolat pour celle pas mal moins plaisante de fumier. On m’a appelé tôt pour m’annoncer le diagnostic : Grisoune ne s’en sortirait pas.
Ça nous prend toujours par surprise, même si, avec le moindrement de recul, la mort avait déjà commencé à pointer son nez. J’ai demandé à ce qu’elle soit maintenue en vie artificiellement pour régler les derniers détails. Mais je savais qu’elle ne pourrait pas rentrer aux Îles. Grisoune allait entamer son dernier voyage sur le continent.
Il peut sembler ridicule de monter tout un char pour une vieille voiture, mais des tonnes de souvenirs y sont associées. C’est la première voiture que ma femme et moi avons achetée lorsque nous avons déménagé en Gaspésie. Par la suite, elle nous a accompagnés dans quelques autres déménagements un peu partout au Québec. Elle a vu naître notre fils. Elle nous a fait voir du paysage, mon chien et moi, lorsque je n’avais pas l’énergie ou la volonté de la promener. Surtout, c’est elle qui nous a conduits, toute la petite famille, aux Îles.
Sans elle, je vais trouver un autre moyen de rentrer aux Îles. Par contre, ma nouvelle situation de gars-pas-d’char m’a fait prendre conscience de ma dépendance à ma voiture lorsque je suis aux Îles. À Saint-Hyacinthe, je fais la majorité de mes déplacements à pied ou en transport en commun. Aux Îles, c’est nettement plus laborieux. Certes, il y a une plus grande distance à parcourir pour une densité de population plus faible. Mais l’offre de transport en commun fait un peu dur. Il y a bien un départ quotidien d’autobus dans chaque direction, ce qui peut répondre aux besoins d’un travailleur à l’horaire stable et correspondant aux heures normales d’ouverture. Par contre, dès que nos déplacements diffèrent un peu, ça devient un véritable casse-tête. Par exemple, lorsque mon fils fréquentait la garderie, il aurait été très laborieux de le déposer et de me rendre à Cap-aux-Meules. De plus, en raison d’un horaire atypique, je n’aurais été tout simplement pas capable de le reprendre à la fin de sa journée.
L’idée ici n’est certainement pas de critiquer gratuitement la RÉGÎM. L’initiative mérite au contraire d’être soulignée. Il nous revient de travailler pour un changement. Il me semble que nous avons développé une dépendance à la voiture sur l’archipel (et je me compte là-dedans). Je ne connais pas d’initiative de covoiturage. J’ai tendance à prendre ma voiture pour me rendre partout, même lorsque je dois parcourir une distance que je marcherais habituellement en ville.
J’espère que la perte de ma voiture va me pousser à réfléchir sur l’enjeu de la mobilité aux Îles. L’automobile a pris une très grande place dans mon quotidien, au point où je ne peux envisager les déplacements autrement. Il doit exister des options plus intelligentes, plus efficaces et plus écologiques. Pour les trouver, il faut changer notre rapport à l’automobile. Sinon, j’ai bien peur que les Îles vont manquer le bateau sur le plan du transport en commun.
Sur ce, je retourne me lamenter sur le sort de Grisoune. Des signets seront bientôt disponibles pour ses proches.
Une réflexion sur “Grisoune ou jamais sans mon char”