
Crédit : Éric Sévigny
Quand je suis arrivé aux Îles il y a déjà quelques années, c’est une maison verte qui m’a accueilli. J’ai squatté à quelques endroits, mais c’est chez elle que j’ai réellement posé mes fesses en me sentant chez moi pour la première fois : une maison verte comme Fatima-la-belle.
La maison n’était pas touristique; elle n’avait pas une vue à couper le souffle (pour les Îles, on s’entend…). Elle était fonctionnelle, mais aurait mérité un peu d’amour. La peinture vert électrique des bardeaux écaillait. Certaines lattes du plancher flottant se déplaçaient. Je me suis cogné l’orteil sur le plancher inégal près de ma porte de chambre de nombreuses fois; le joint était fait en discret duct tape bleu. J’aimais arpenter de long en large le deuxième étage en effleurant le mur en préfini.
La maison verte a été un lieu de passage pour plusieurs nouveaux arrivants. Une partie de ses occupants changeait parfois aussi souvent que les saisons. Même pas toujours le temps de s’attacher. La place favorisait les rencontres. Chacun y façonnait l’atmosphère par sa personnalité et y modifiait le décor par ses biens. Mes effets personnels côtoyaient les vestiges laissés sur place par les anciens occupants. Au fur et à mesure que les colocataires se succédaient, la maison s’est rapidement remplie d’une foule d’objets disparates : des revues de jardinage, de l’équipement de baseball, une statuette d’un lanceur de disque, un miroir sur le plancher du salon, des outils, un Livernois, des plantes, un coffre au trésor, un lit de bébé, une amarre, des jeux de société, de la poterie de Patrick Le Blond et des toutous.
La maison était remplie d’objets hétéroclites, mais surtout d’action. Elle a entendu des rires et des pleurs, des discussions graves ou complètement superficielles. Elle a enduré des métamorphoses de son intérieur, des soirées trop arrosées et des fêtards choisissant judicieusement le divan plutôt que les roues. Elle a souvent vu le Canadien perdre en série. Elle a senti le loup marin brulé, mais le délicieux risotto au homard. Elle a vu son lot de gens se rapprocher et se repousser. Elle a supporté des cris et encore des pleurs à ne plus savoir où se mettre. Elle a servi de refuge par temps de tourmente météorologique ou émotive.
L’été, un côté de la maison était réveillé par le doux son des gars de la Labatt qui chargent les camions. L’hiver, pris dans les tempêtes, on mangeait des croquettes de poulet pendant trois jours et on se rendait chez les voisins en raquettes. Les hostilités pouvaient se dérouler à l’extérieur et même se transposer à l’intérieur, la chaleur de la maison réussissait à reprendre le dessus tôt ou tard.
Oui, cette maison avait tout d’un excellent QG pour mon exploration des Îles. Elle qui nous acceptait toute l’année, même l’été. Elle était un peu à l’image de Fatima : éclectique, un peu tout croche, mais pleine de vie. Au fond c’est surtout ça qui compte : la vie.